Par
Mathias Wargon Chef de Service, Hopital Delafontaine, St Denis
Hocine Saal, Chef de service, Hopital André Gregoire, Montreuil
Comme chaque année, le feuilleton du concours des médecins étrangers se répète. Chaque saison de cette mauvaise série est plus catastrophique que la précédente, pour ces PADHUEs, praticiens à diplômes hors union européenne, pour les hôpitaux qui les reçoivent, et donc pour la population dont on fait finalement peu de cas.
La situation est complexe et opaque. Tellement complexe et opaque que les professionnels, les Agences régionales de santé (ARS) et même le ministère de la Santé semblent s’y perdre. Sans réelle analyse de terrain, sans demander l’avis de ces PADHUE, des décisions arbitraires sont prises mettant en péril encore plus notre système de soin.
Une majorité des médecins à diplômes étrangers candidats sont déjà dans nos services (dont le tiers en Ile de France). Ils exercent sous des statuts d’internes, mais en réalité beaucoup occupent des fonctions de senior, ce qu’ils sont dans leurs pays. Et heureusement. S’il n’y avait pas ces petits arrangements entre amis, parfois à la limite de la légalité, il n’y aurait pas de médecin de garde dans de nombreux services d’urgence, pas de radiologue pour aider au diagnostic, pas de chirurgien pour opérer la nuit, pas d’anesthésiste pour les endormir, sans compter le domaine de la psychiatrie qui a toujours été le parent pauvre de la médecine. Ils vivent dans une précarité financière (même si les hôpitaux font des efforts) et administrative, avec des autorisations de séjour à renouveler tous les ans sous forme de récépissés renouvelables à la préfecture tous les trois mois. Nous connaissons tous ces collègues à qui on demande de faire la queue à la fin d’une nuit de garde.
Finalement ce concours, nommé épreuves de validation des connaissances, EVC, a eu lieu en septembre. La date des résultats a été sans cesse repoussée jusqu’à fin décembre, engendrant non seulement du stress chez les candidats ou les services qui reçoivent des PADHUEs, mais également de nouveaux problèmes de régularisation avec des médecins se retrouvant sans papiers et risquant l’expulsion !
Il y a eu moins de PADHUEs reçus aux épreuves que de places ouvertes, signe d’une sévérité extrême dans certaines spécialités où le jury a été en deçà du nombre de places disponibles pour exclure des candidats, bien que leurs résultats étaient au-dessus de la moyenne. Dans certaines spécialités les candidats ont été recalés avec plus de 15 de moyenne. Nous sommes pour l’excellence des médecins en France, il est normal d’exclure ceux qui n’ont pas le niveau, mais ne demandons pas à nos collègues à diplôme étrangers d’être meilleurs que nous. Nous les formons, nous les accompagnons dans leurs parcours et, à leur tour, ils encadrent et forment nos internes, nos externes tant leurs connaissances théoriques et pratiques sont d’un bon niveau.
Les hôpitaux, où nous exerçons, ont fait des demandes de postes dans chaque spécialité en difficulté. Leurs services pallient souvent les déserts médicaux. Le nombre de postes ouverts est toutefois très en deçà des besoins. Par exemple, en Ile de France, sur environ 1250 postes demandés, seuls 460 ont été accordés et pour une spécialité désertée comme la médecine d’urgence, seulement 28 postes ont reçu l’aval. De plus, ce peu de postes, personne ne sait comment ils sont répartis. Comment gérer un service, un hôpital, comment faire un planning, une liste de garde les nuits et les week-end pour les prochains mois, quand on ne sait pas combien au final il nous restera de médecins dans quelques jours ? Certains services seront peut-être contraints de fermer. Beaucoup devront réduire la présence médicale. Certaines urgences encore ouvertes devront demander aux SAMU de réguler l’accueil des patients là où ce n’est pas déjà le cas. Les patients les moins malades seront renvoyés.
On nous demande de renforcer nos équipes pour les jeux olympiques. Comment faire quand on perd des médecins ? Le COVID est passé. Aucune équipe médicale n’acceptera de donner plus que ce qu’elle pourra. Un membre de la commission nationale d’autorisation d’exercice en médecine d’urgence témoigne de l’excellent niveau des PADHUE de cette discipline, la majorité ont au moins 3 diplômes universitaires en plus de leur cursus initial, s’investissent pleinement dans les services où ils exercent, participent à des protocoles de recherche clinique, rédigent des articles universitaires, des publications…
Repartir la demande semble une politique juste. En réalité, on repartit la pénurie. Des services qui ont formé durant des mois les médecins lauréats de ces concours vont les perdre. Dans certains services on avoisine les 80 à 90% de taux de réussite parmi les PADHUE qui se sont présentés aux concours. Mais ces lauréats, les meilleurs des médecins étrangers, pourquoi iraient-ils dans les déserts médicaux où leurs confrères à diplôme français ne veulent pas aller ? Ils ont souvent une famille, des enfants qu’ils ont déjà déracinés une fois pour accéder aux postes qu’ils occupent actuellement. Le marché des médecins est international. D’autres pays les demandent. Des pays où ils seront mieux considérés, et mieux payés.
Et parmi ceux qui n’ont pas réussi cette fois-ci le concours ? Nous en jugeons certains excellents. De nombreux médecins à diplôme français ont dû redoubler leur première année ou ont repassé leur internat, ils n’en sont pas plus mauvais pour autant. Nos collègues pourront-ils rester ? Une loi est passé fin décembre sur proposition du député Fréderic Valletoux, permettant de reconduire un contrat de travail, donc un titre de séjour, pour 13 mois afin de repasser le concours. Mais cette loi n’est pas applicable pour le moment, il faut encore constituer une nième commission pour étudier leur dossier. Quand elle le sera, nos médecins auront déjà reçu leur obligation de quitter le territoire français (ou OQTF) et seront obligés de partir.
Nous tenons notre service public à bout de bras. Sans nos confrères à diplômes hors union européenne, nous n’y arriverons pas. Nos efforts et les leurs ne sont pas payés en retour. A chaque fois, les décisions prises dans l’anonymat du ministère fissurent encore plus le système dont on se demande comment il tient encore. Après les départs des personnels paramédicaux, la fuite de nos praticiens à diplôme français, on encourage ceux qui sont encore là à laisser tomber. Ouvrons des postes supplémentaires. Permettons à nos collègues lauréats d’avoir le choix de rester là où ils veulent et où il y a les besoins et payons-les à la hauteur des fonctions qu’ils occupent. Appliquons la loi Valletoux pour garder ceux qui auront le concours l’année prochaine.
Nous sommes tous pour l’excellence de la médecine française ²et eux aussi. Mais s’ils se donnent les moyens de maintenir ce niveau dont la renommée est internationale, il est peut-être temps de les considérer comme des confrères, demain ils soigneront nos enfants, nos parents et peut-être nous aussi. Alors arrêtons ce désastre, il est grand temps de revoir cette procédure avec une vraie vision de la réalité du terrain.
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